- ONTOGENÈSE ANIMALE
- ONTOGENÈSE ANIMALEL’ontogenèse, c’est-à-dire le développement d’un individu, revêt une extraordinaire variété de formes, à un point tel que le désordre apparent présenté par le règne animal semble à première vue irréductible. Pourtant, cette variété n’est pas l’anarchie; en effet, l’existence d’un être vivant s’inscrit toujours dans un cadre déterminé par la lignée à laquelle il appartient, lignée qui a elle-même sa propre histoire au cours de l’évolution, sa phylogenèse. La vie d’un individu se déroule toujours en fait selon un schéma très précis, qui tend à la réalisation et à la reproduction de son espèce. Il est évident dès l’abord que la durée de vie d’un organisme, à quelque groupe qu’il appartienne, est courte au regard des temps géologiques. L’individu, après avoir atteint une haute différenciation structurale à partir d’états moins évolués, meurt. Mais avant de mourir, il donne naissance à son tour à une forme beaucoup plus simple, qui se sépare de l’organisme parental et dont l’évolution ultérieure contribuera à donner un nouvel être; cet être, semblable pour l’essentiel à celui qui l’a engendré et le relayant, assurera la permanence de la lignée dont il est issu, en reprenant à son tour le cycle évolutif parcouru par ses prédécesseurs. Ce processus périodique est si universel qu’il constitue un des critères de la vie.Mais à l’intérieur de ce grand schéma général existe une remarquable richesse de possibilités dans les formes qui mènent de la naissance à la mort d’un individu. Cependant, malgré la diversité des voies empruntées, des étapes caractéristiques se retrouvent d’un bout à l’autre de l’échelle animale. Ce sont les plans de développement , qui manifestent la prodigieuse créativité de la matière vivante. Enfin, à l’intérieur même des schémas de développement, et malgré leur caractère extrêmement diversifié, le passage d’une étape à la suivante s’effectue grâce à des mécanismes universels. L’évolution d’une forme à une autre, qui témoigne de la plasticité de la matière vivante, est régie par des processus très stricts, qui sont les mêmes partout. Les stimuli initiateurs des transformations, la réponse à ces stimuli, la séquence des événements présidant à l’élaboration des formes présentent une remarquable uniformité dans leur dynamique interne.Les étapes du développement se résolvent en la réalisation progressive des appareils vitaux à l’intérieur de l’organisme: c’est l’organogenèse . La formation des organes, à partir d’un état initial indifférent et non structuré, implique une spécialisation très précise des tissus, qui les rendra aptes à accomplir leur fonction particulière dans la grande unité de l’organisme: c’est la différenciation cellulaire . Enfin, au niveau ultime, se pose le problème de la transformation intime des cellules sur le plan biochimique. Comment s’acquièrent la structure propre à la cellule différenciée et l’équipement spécifique nécessaire à son métabolisme, c’est ce que nous apprend la différenciation chimique des organismes.La très grande richesse de formes dans l’échelle animale se résout donc, en fin de compte, en grands plans de développement qui se réalisent à travers des mécanismes généraux et témoignent de l’unité fondamentale de la matière vivante.1. Les étapes du développement de l’individuTout organisme a une vie limitée dans le temps, une histoire. Mais, à quelques détails près, cette histoire n’est que la récapitulation d’un schéma strict caractéristique de l’espèce et assurant sa perpétuation. L’étude des étapes du développement de nombreuses espèces révèle des traits communs entre des plans parfois fort différents, des étapes identiques marquant des stades où se déroulent des phénomènes voisins, régis par des mécanismes du même ordre. Ainsi, pour tous les Métazoaires, le passage du germe initial à l’individu adulte est marqué par des processus universels: la division cellulaire, le mouvement cellulaire, la croissance cellulaire, la différenciation cellulaire. Ces phénomènes fondamentaux sont à la base de la réalisation de tous les plans de développement particuliers, qui ne sont que les avatars d’un seul grand plan général, commun à tous.Le germe initialLe germe initial (œuf ou blastème), qui donnera naissance à un nouvel individu, est issu de la reproduction d’organismes parentaux adultes. Il existe deux grands types de reproduction: la reproduction sexuée et la reproduction asexuée (agame).Reproduction sexuéeLa reproduction sexuée est de loin le mécanisme le plus répandu. Ses modalités sont très variées. Les deux sexes peuvent être portés par le même individu: c’est l’hermaphrodisme des Vers, de certains Crustacés, de certains Mollusques. Dans ce cas, la copulation de deux individus est parfois inutile, s’il y a autofécondation.Le gonochorisme , c’est-à-dire la disjonction des sexes entre des individus distincts, est plus fréquent et entraîne parfois un dimorphisme sexuel important. Toutes sortes de modalités intermédiaires existent: un même individu peut être successivement d’un sexe, puis de l’autre; il peut y avoir alternance de gonochorisme et d’hermaphrodisme, voire de reproduction sexuée et agame.Il y a une dualité fondamentale entre les cellules reproductrices (ou gamètes) des deux sexes, dont le rôle respectif est distinct (cf. GAMÈTES ET GAMÉTOGENÈSE, REPRODUCTION, SEXUALITÉ). De l’union de l’ovule, élément femelle, et du spermatozoïde, élément mâle, résulte un œuf, qui se développe en un nouvel individu, porteur de caractères hérités des parents et conforme aux normes de l’espèce: c’est la fécondation [cf. FÉCONDATION].Parfois, ce schéma fondamental est légèrement altéré. Ainsi dans la parthénogenèse , l’ovule n’est pas fécondé par le mâle et se développe cependant en un embryon. La parthénogenèse peut être accidentelle, mais dans quelques groupes, comme chez certains Insectes (pucerons), c’est une modalité normale de reproduction. Elle peut alors être cyclique et alterner régulièrement avec la reproduction bisexuée. Quoi qu’il en soit, la parthénogenèse n’est qu’une forme particulière de reproduction sexuée, car tous les phénomènes qui s’y déroulent, à part la fécondation proprement dite, sont identiques au schéma normal [cf. PARTHÉNOGENÈSE EXPÉRIMENTALE].Reproduction asexuéeLa sexualité n’est pas le seul mécanisme qui permette la continuité de la vie des espèces. En effet, dans les groupes inférieurs, Protozoaires et Invertébrés, on assiste à une autre forme de reproduction: une partie plus ou moins importante de l’individu parent se détache et se complète pour mener une vie indépendante. C’est le même individu qui continue, par un mécanisme analogue au bouturage chez les plantes.La reproduction asexuée présente également des modalités très variées. Il peut y avoir bourgeonnement , c’est-à-dire formation, à partir de l’organisme parental, d’un bourgeon externe ou interne, qui se sépare à un stade plus ou moins avancé de son évolution pour reconstituer un individu indépendant. Lorsque la séparation n’a pas lieu et que les bourgeons sont nombreux, on a affaire à des organismes collectifs, des colonies, ce qui est le cas chez les coraux (Cœlentérés). Il y a gemmiparité , ou blastogenèse, chez les éponges par exemple, lorsque l’essaimage se fait par des amas de cellules indifférenciées, les gemmules, qui reconstitueront un nouvel individu. Une autre modalité, la scissiparité , consiste en un découpage de l’animal en deux ou plusieurs parties, chacune d’entre elles régénérant les parties manquantes. La division binaire des Protistes relève de ce type de reproduction, très répandu chez certains Vers annélides et turbellariés (planaires), chez des hydres, des anémones de mer, etc. Il présente de grandes analogies avec les processus de la régénération [cf. RÉGÉNÉRATION ET CICATRISATION].Le trait commun aux deux types de reproduction, sexuée et asexuée, c’est que le nouvel individu se développe à partir d’une ou plusieurs cellules indifférenciées et totipotentes . Ces deux caractères, nécessaires à l’édification ultérieure de l’organisme fils, sont intrinsèques à la cellule unique qu’est l’œuf, et secondaires dans certains cas de reproduction asexuée (scissiparité). Le germe initial résulte alors de la dédifférenciation des tissus parentaux et possède les larges capacités histogénétiques et organogénétiques des blastomères aux premiers stades de l’embryogenèse (blastula) et des blastèmes dans la régénération.Phase embryonnaire ou préfonctionnelle du développementL’œuf fécondé est donc une cellule totipotente, organisée en une unité morphologique et physiologique, dont la transformation en un individu différencié constitue l’embryogenèse. Malgré l’extraordinaire diversité des moyens mis en œuvre par la nature pour tirer un animal d’une cellule, les premiers stades du développement de l’œuf offrent des aspects voisins pour toutes les classes d’animaux [cf. EMBRYOGENÈSE ANIMALE]. Après la fécondation, l’œuf se divise un certain nombre de fois: c’est la segmentation , qui mène à la blastula. Puis il se produit d’importants mouvements morphogénétiques, des remaniements spatiaux considérables qui constituent la gastrulation . Cette étape fondamentale amène la mise en place des feuillets embryonnaires , dont les interactions ultérieures seront à la base de toute l’organogenèse. À partir de ce stade du développement, des divergences considérables apparaissent entre les groupes, en particulier entre les Vertébrés et les Invertébrés. Mais le «tronc commun» des premiers stades témoigne de l’unité de tous les organismes animaux, et de leur origine commune.Le développement embryonnaire présente des modalités très variées, dont certaines dépendent des rapports de l’œuf avec l’organisme maternel. Ceux-ci peuvent être de plusieurs types. Il y a oviparité lorsque l’œuf devient très tôt indépendant de la mère: dès qu’il est fécondé dans les voies génitales (Oiseaux), parfois même avant, la fécondation s’effectuant alors dans le milieu extérieur (Crustacés, Batraciens, etc.); dans ce cas, le développement de l’embryon jusqu’à l’éclosion, c’est-à-dire l’entrée en contact avec le milieu extérieur, est assuré par les réserves nutritives contenues dans l’œuf. Il y a viviparité si la totalité, ou la plus grande partie de la vie embryonnaire, a lieu au sein de l’organisme maternel, qui assure ainsi la nutrition de l’embryon dépourvu de réserves nutritives. C’est le cas de certains Poissons et Batraciens, et surtout des Mammifères. Enfin, il existe des espèces, chez les serpents par exemple, qui présentent des rapports intermédiaires: c’est l’ovoviviparité .Aussi bien chez les ovipares que chez les vivipares, on trouve, d’une espèce à l’autre, des différences considérables de maturité des organes à la fin de la vie embryonnaire. Dans certaines espèces, par exemple caneton chez les Oiseaux, poulain chez les Mammifères, les individus sont aptes à une vie indépendante dès la naissance ou l’éclosion. Chez d’autres, les fonctions de relation sont immatures et ne deviendront pleinement actives que plus tard; pour leur survie, les nouveau-nés dépendent de leur entourage, comme dans l’espèce humaine. Ces différences sont en partie liées à la durée de la gestation ou de l’incubation, au cours desquelles le développement peut être lent ou rapide.Le mode de développement de l’embryon dépend également de l’écologie de l’animal. Ainsi, selon que des espèces très voisines de Mollusques se développent dans un milieu marin ou en eau douce, on observe des variations importantes dans l’abondance d’une ponte, la dimension de l’œuf, la durée de la période embryonnaire, l’état de maturité de l’organisme à l’èclosion, etc. Des conditions d’existence particulières, comme le parasitisme ou la vie coloniale, entraînent des modifications morphologiques, des formes régressées, des cycles de vie très divergents de ceux d’espèces très proches.Développement direct et développement indirectÀ la fin de la phase embryonnaire, l’organisme juvénile peut préfigurer l’individu adulte, à la taille près. Même si l’importance relative et la maturité des divers organes présentent des écarts sensibles par rapport à l’état adulte, les organes essentiels sont en place; ils ne subiront plus que des modifications quantitatives, qui moduleront la forme définitive de l’individu: c’est le développement direct .Mais pour un certain nombre d’Invertébrés (Crustacés et Insectes surtout), de même que chez quelques Vertébrés (Batraciens), la fin de la vie embryonnaire ne marque pas un état stable: c’est le développement indirect . Des changements considérables interviennent encore au cours de crises morphologiques et physiologiques profondes: les métamorphoses . Celles-ci peuvent être uniques ou multiples; les stades intermédiaires précédant l’état définitif constituent les stades larvaires. Lors des métamorphoses, la structure même de l’organisme, son plan d’organisation sont bouleversés (fig. 1); l’animal postmétamorphique est souvent extrêmement différent, dans sa forme, sa physiologie et son mode de vie, de la larve qui l’a précédé. Dans un même groupe, en particulier chez les Arthropodes, le nombre et la forme des stades larvaires sont très variables et font l’objet de classification et de dénominations diverses.Phase adulte du développementQuel que soit le mode de vie embryonnaire et le type de développement, direct ou indirect, l’organogenèse a abouti à la mise en place des principaux appareils vitaux. L’organisme apparaît alors comme une mosaïque d’organes, dont l’activité spécifique permet la survie et la croissance. C’est ainsi qu’au terme de l’évolution embryonnaire, larvaire ou fœtale, s’instaure la période d’activité fonctionnelle de l’individu. La mosaïque embryonnaire, pour assumer les grandes fonctions de relation et de nutrition, implique une harmonisation du jeu des organes. Cette intégration physiologique indispensable est assurée par le système nerveux et le système endocrine, dont le développement revêt une importance considérable chez les Vertébrés. Mais c’est progressivement, et avec des variations étendues selon les espèces, que l’intégration des organes se réalise.De même que les organes se sont déterminés et différenciés à des moments divers de la vie embryonnaire ou larvaire, leur degré de maturité et de fonctionnement varie lorsque l’organisme juvénile accède au dernier stade du développement. La taille et les proportions respectives des organes sont encore éloignées de l’état adulte. La croissance achève le modelage régional de la forme de l’individu. Cette croissance est relative, allométrique, c’est-à-dire qu’elle s’effectue à des degrés et des vitesses différents pour les diverses parties du corps, ce qui permet l’acquisition progressive des caractères de l’adulte [cf. CROISSANCE (biologie)]. De plus, certains organes n’ont pas réalisé leur pleine organogenèse. Tel est le cas, chez tous les Vertébrés, des organes de reproduction. Dans l’espèce humaine, ceux-ci achèveront leur différenciation et ne deviendront fonctionnels que bien après la fin de la vie embryonnaire, à la puberté, qui donne lieu à des remaniements morphologiques et histologiques importants. Les cellules germinales, ségrégées très tôt dans l’embryon, et qui jusqu’alors ont échappé à toute différenciation et conservé leur caractère primitif de cellules embryonnaires, deviennent des gamètes, qui seront les initiateurs d’une nouvelle génération. Le cycle ontogénétique est alors refermé. L’individu adulte, constitué de cellules somatiques, est appelé à mourir après s’être reproduit; seule la lignée germinale lui survivra et, de génération en génération, assurera l’immortalité potentielle de l’espèce.Sénescence et mortAvec l’accession à l’âge adulte, la croissance marque le pas, puis elle cesse. Les corrélations fonctionnelles sont parfaitement établies, l’activité de l’organisme a atteint sa plénitude. Mais l’organisme continue à évoluer et les processus de vieillissement apparaissent dès la fin de la période de maturation sexuelle. Leur durée est extrêmement variable. Chez certains Invertébrés, la mort survient brutalement dès que la descendance de la lignée est assurée, c’est-à-dire immédiatement après la copulation chez les mâles ou la ponte chez les femelles. Chez l’homme, le déclin de l’organisme, quoique très lent, peut être apprécié avec précision par divers tests physiologiques et psychiques [cf. GÉRONTOLOGIE]. Le catabolisme dépasse l’anabolisme; le remplacement des cellules usées devient partiel, la réparation des tissus incomplète, le fonctionnement des organes imparfait. Cette régression physiologique entraîne progressivement des modifications morphologiques et la sénescence, quoique tardive, s’installe. L’individu présente une adaptation de plus en plus défectueuse à son environnement, avec ses variations et ses dangers. Il est à la merci de la défaillance d’une de ses fonctions vitales. C’est la mort (cf. MORT – Le phénomène biologique).Ainsi, l’ontogenèse, à travers une extraordinaire précision des processus du développement, aboutit à un organisme complexe, aux corrélations harmonieuses, aux capacités d’adaptation au monde extérieur très souples, apte à survivre et à assurer sa reproduction. Mais quel que soit le type de développement selon lequel l’individu évolue, il se montre, jusque dans son plus infime détail, d’une rigoureuse constance à l’intérieur d’une même espèce. Nous donnons ci-dessous deux exemples très différents de développement d’organismes animaux, montrant la variété des formes que peut emprunter la matière vivante.Exemples de développementDéveloppement de la sacculineLe développement de la sacculine est un exemple de cycle de vie d’un Invertébré marin, à métamorphoses et à formes involuées liées au parasitisme. La sacculine, Crustacé inférieur cirripède de petite taille, vit sur l’abdomen, puis dans la cavité générale d’un crabe (fig. 1).La sacculine adulte est un sac appendu par un pédoncule à la limite du thorax et de l’abdomen d’un crabe. On l’appelle la sacculine externe , nom en partie impropre, puisqu’en fait la sacculine externe a des racines ramifiées à l’intérieur des tissus du crabe, par lesquelles elle se nourrit. C’est un organisme régressé, dont les principaux caractères distinctifs des Crustacés sont absents. La plupart des organes, tels le système nerveux, le tube digestif, les appendices, n’existent pas; en revanche, les organes de reproduction forment la majeure partie des viscères.La sacculine est hermaphrodite et s’autoféconde, sauf pour la première ponte chez la jeune sacculine, qui est fécondée par des mâles nains, fixés à l’orifice de la cavité incubatrice qui lui tient lieu de cavité générale. La ponte est rejetée dans le milieu extérieur sous forme de nauplius , larve pélagique typique, qui est le seul stade libre de la sacculine. Puis le nauplius se métamorphose en cypris . Ces deux stades larvaires, tout à fait caractéristiques des Crustacés, permettent seuls de rattacher avec certitude la sacculine à ce groupe [cf. CRUSTACÉS]. La cypris, dépourvue de tube digestif, parasite un nouvel hôte, en se fixant par une de ses antennules. Elle perd alors sa région thoraco-abdominale, puis sa coquille bivalve. La région céphalique qui subsiste subit d’importants remaniements, se transforme en une masse sphérique, qui différencie un dard. Celui-ci, à travers le pédoncule, perfore le tégument du crabe et pénètre dans sa cavité générale: c’est le stade kentrogone . Le contenu du kentrogone, à peu près complètement dédifférencié, s’injecte dans le crabe par le tube creux. D’ectoparasite, la larve est devenue endoparasite; c’est la sacculine interne . Elle se déplace par des mouvements amiboïdes, puis se fixe par des ramifications multiples dans de nombreux tissus. Ces rhizoïdes absorbent les substances nécessaires à la nutrition du parasite. La masse ou nucleus, ébauche de la sacculine adulte, différencie des ovaires et des testicules, grossit, fait saillie dans l’abdomen et finit par sortir en maintenant ses racines nourricières à l’intérieur du crabe. Puis le cycle évolutif reprend [cf. PARASITISME].La sacculine présente un cycle évolutif très intéressant par la variété des formes qu’emprunte l’animal aux différents stades de sa vie. Il y a alternance de vie libre et de parasitisme, gonochorisme et hermaphrodisme successifs, métamorphoses puis altération et involution profonde de la morphologie, avant le retour à la reproduction sexuée. Certaines des phases que présente la sacculine sont caractéristiques des Crustacés en général, d’autres sont tout à fait spécifiques et liées aux conditions écologiques très particulières de cet organisme.Développement du pouletLe développement du poulet, particulièrement bien étudié, est l’exemple le plus classique de développement de l’Oiseau, Vertébré supérieur, amniote, homéotherme [cf. OISEAUX]. Son milieu naturel est aérien. L’œuf très volumineux que pond la femelle, après fécondation dans les voies génitales, est télolécithe, c’est-à-dire à vitellus très abondant. Le germe est repoussé à la surface; la segmentation est donc superficielle et aboutit à un blastodisque qui se développe entièrement à l’intérieur de la coquille calcaire rigide de l’œuf.Les phases les plus importantes du développement embryonnaire du poulet, schématisées dans la figure 2, sont en tout point conformes au schéma relatif aux Vertébrés). Dix heures après le début de l’incubation apparaît la ligne primitive, qui correspond à l’invagination du chordomésoblaste entre l’ectoblaste et l’endoblaste: c’est le début de la gastrulation. À 20 heures, la gastrulation est achevée. La partie antérieure de la ligne primitive, ou nœud de Hensen, s’allonge en prolongement céphalique, qui donne vers l’avant le repli céphalique: c’est la neurulation. À partir de ce stade, l’embryon évolue très vite. Les plis neuraux, ou bourrelets médullaires, vont à la rencontre l’un de l’autre, au niveau de ce qui deviendra le cerveau moyen, pendant qu’apparaissent les premiers somites, ébauches des futurs tissus de soutien de l’organisme, squelette et muscle. L’embryon s’allonge, l’intestin antérieur s’amorce. À 33 heures, le cerveau est complet, le tube nerveux se referme progressivement au niveau de la moelle; le cœur s’est différencié en un tube infléchi sur la droite; un repli amniotique, première ébauche de l’amnios, importante annexe embryonnaire, apparaît à la partie antérieure. À 45 heures, l’embryon présente un début de torsion vers la droite, c’est-à-dire commence à se coucher sur son flanc gauche: le cœur bat déjà depuis plusieurs heures. À 50 heures, la torsion s’est accentuée; de la partie cervicale, elle a gagné le tronc; les vésicules sensorielles, auditives et optiques se sont différenciées, de même que le système vasculaire embryonnaire et extraembryonnaire (celui-ci n’étant pas représenté sur la figure). À 3 jours, les bourgeons des membres apparaissent, ainsi que les arcs aortiques. C’est le moment où se forme l’allantoïde, annexe embryonnaire qui prendra une extension et un rôle physiologique considérables dans la suite de l’incubation [cf. EMBRYOGENÈSE ANIMALE]. À ce stade, les principaux organes de l’embryon sont en place. On assiste par la suite à leur différenciation de plus en plus poussée: pigmentation des yeux, allongement des membres et différenciation des doigts, formation du bec, développement des bourgeons plumaires, par exemple.L’incubation à 38,5 0C dure 21 jours. À l’éclosion, le poussin est capable de se déplacer et de se nourrir. Il préfigure l’individu adulte: c’est le développement direct. Par la suite, la croissance se poursuit, des modifications quantitatives modèlent la forme de l’individu. La maturité sexuelle intervient en quelques mois et il y a un dimorphisme sexuel très net entre le mâle et la femelle.Ainsi, le développement du poulet est une épigenèse continue, qui va de l’œuf à l’individu définitif. Comme dans tous les cas de développement direct, l’essentiel du développement s’effectue pendant la vie embryonnaire de l’individu [cf. MORPHOGENÈSE ANIMALE].Ces deux exemples, pris dans deux groupes éloignés de l’échelle animale, montrent la diversité des plans de développement. Cependant, malgré leur remarquable variété, les processus qui président à la mise en place des structures sont voisins pour toute l’échelle animale; qu’ils aboutissent à l’édification d’un poussin ou d’une des larves d’un crustacé, ils sont de même nature. Ce sont les mécanismes de l’organogenèse.2. Génétique du développement animalChaque animal est composé de millions de cellules de types différents. La présence de protéines spécifiques impose à chaque cellule ses propriétés. Par exemple, les cellules musculaires renferment de la myosine, alors que les cellules de la peau contiennent de la kératine. Pourtant, chaque organisme est construit à partir d’une seule cellule, l’œuf fécondé. Cette cellule contient toute l’information nécessaire au développement de l’embryon qui apparaît au bout de quelques jours composé de nombreux types cellulaires différents.Quel est le programme qui ordonne et coordonne le développement? Ce programme dépend de l’information contenue dans les gènes constitués par de l’acide désoxyribonucléique (ADN) et rassemblés dans les chromosomes. Toutes les cellules de l’embryon et de l’organisme adulte contiennent la totalité de l’information génétique. Cependant, chaque catégorie de cellules utilise une partie différente de cette information. Ce phénomène est attribué à un fonctionnement sélectif des différents gènes. En effet, la fonction des gènes est de gouverner, par l’intermédiaire de molécules d’acide ribonucléique (ARN) messagères, la biosynthèse d’une protéine. Dans chaque espèce, un programme défini régule le moment et le lieu où l’information des différents gènes doit être traduite en protéines. Si les gènes sont activés, la protéine est synthétisée dans la cellule; si les gènes sont réprimés, cette synthèse n’a pas lieu.Après la fécondation, l’œuf commence à se diviser en cellules plus petites. Pour initier une activité génétique différente dans les cellules ainsi formées, une asymétrie est nécessaire, telle qu’un pôle de l’œuf diffère du pôle opposé. En général, deux axes embryonnaires perpendiculaires sont mis en place. Le plan du corps, de la tête à la queue, est défini par l’axe antéro-postérieur. L’axe dorso-ventral est constitué par la succession des couches tissulaires (peau, muscles, os). Tous les œufs, sauf ceux des mammifères, ont un axe visible avant la fécondation. Il se voit, par exemple, à la forme de l’œuf, à une pigmentation de la surface ou à une distribution inégale de substances à l’intérieur de l’œuf. Sauf chez les oiseaux et les mammifères, l’axe antéro-postérieur apparaît en premier. Il est défini au hasard soit par la position de l’ovocyte par rapport à d’autres cellules de l’ovaire (poulet, drosophile), soit par la position excentrique du noyau et d’autres organelles à l’intérieur de l’œuf (amphibiens), ou encore par le site d’attachement de l’embryon aux membranes extra-embryonnaires (mammifères). Le second axe se forme perpendiculairement au premier à la suite d’une influence extérieure à l’œuf: point d’entrée du spermatozoïde (amphibiens) ou gravité (poulet). L’ensemble des gènes responsables de la mise en place des axes embryonnaires est peu connu, sauf pour un seul animal, la mouche du vinaigre Drosophila melanogaster .Après la formation des axes, certaines protéines (synthétisées dans l’ovaire) se distribuent de manière asymétrique dans l’œuf, parfois sous la forme d’un gradient de concentration. Ainsi, les premières cellules formées se retrouvent avec des quantités différentes de ces protéines. Les caractéristiques de plusieurs de ces protéines ont été décrites. Il s’agit de protéines de régulation appelées morphogènes dont le rôle est de mettre en route l’activité des gènes embryonnaires. En effet, chaque gène comprend, outre la partie structurale portant l’information nécessaire à la fabrication de la protéine, une partie dite de contrôle qui est nécessaire à l’activation ou à la répression du gène lui-même. Les protéines de régulation se fixent de manière spécifique sur les régions de contrôle et ont la propriété d’activer ou de réprimer certains gènes cibles. Pour l’activation des gènes cibles, il semble qu’une quantité suffisante de ces molécules de régulation soit requise. Quand la concentration dépasse ce seuil, les gènes sont activés; quand elle est inférieure, les gènes restent silencieux. Après la formation des axes, les cellules, à des endroits différents de l’embryon, renferment des quantités variables de morphogènes. Des gènes spécifiques sont ainsi activés dans différentes cellules qui se mettent à synthétiser les protéines correspondantes. C’est le début de la différenciation en divers types cellulaires.Le développement le long de l’axe antéro-postérieur donne naissance à la tête, au thorax et à l’abdomen de l’animal. Ces subdivisions sont reconnaissables chez beaucoup d’espèces. Au cours de l’embryogenèse, le corps des animaux supérieurs est subdivisé en parties encore plus petites, appelées segments. Les segments restent visibles sur le corps adulte des insectes et de la plupart des arthropodes, mais sont moins bien discernables chez les vertébrés et, en particulier, chez les mammifères. Même l’homme a une origine segmentaire, dont on peut détecter les vestiges dans les vertèbres issues chacune d’un segment différent. Chez la drosophile, la subdivision de l’embryon en segments est contrôlée par trois classes de gènes qui agissent les uns après les autres. Une fois le corps de l’embryon ainsi subdivisé, une diversification des segments est possible au moyen de l’expression de gènes différents dans chacun d’eux. Ce mécanisme permet, pendant la croissance de l’embryon, un contrôle génétique autonome des segments.Les animaux primitifs se composaient vraisemblablement de segments similaires répétés, comme chez les vers de terre d’aujourd’hui. Au cours de l’évolution des différentes espèces, d’autres gènes ont été impliqués et exprimés à des endroits précis. Les segments se sont diversifiés de plus en plus. Tous les animaux supérieurs emploient ce même mécanisme de subdivision de l’embryon en segments, puis de contrôle de chaque segment au moyen de gènes différents. L’immense variation des morphologies n’apparaît que secondairement quand les segments se mettent à diverger. La mouche offre une illustration simple de ce phénomène. En effet, elle possède au cours de sa vie deux corps morphologiquement différents. L’œuf donne naissance à une petite larve qui grandit et qui se transforme lors de la métamorphose en mouche adulte. Les segments mis en place lors de l’embryogenèse serviront de base pour la construction des deux corps. Il y a ainsi une correspondance exacte entre les segments de la larve et ceux de l’adulte (fig. 3).Alors que les processus utilisés pour définir les axes embryonnaires sont très variables d’une espèce à l’autre, les recherches de ces dernières années ont montré que les gènes qui contrôlent le développement des différents segments sont très similaires et parfois même identiques d’une espèce à l’autre. Une série de gènes appelés gènes homéotiques a été découverte chez la drosophile. Leur activité permet la diversification des segments. Quand le fragment d’ADN correspondant à un gène régulateur d’une espèce a été isolé, il peut être utilisé comme sonde pour isoler un fragment d’ADN similaire chez une autre espèce si un tel fragment existe. Cette opération est possible puisqu’un brin d’ADN est capable de s’apparier à un autre brin si leurs structures sont suffisamment proches. Lorsqu’un gène similaire est retrouvé de cette façon chez une autre espèce, ces gènes sont dit homologues. Ce terme indique que les deux gènes sont issus probablement d’un gène ancestral commun. Des gènes homologues aux gènes homéotiques de la drosophile ont été retrouvés chez des animaux aussi éloignés que le ver plat, la grenouille, la souris et même l’homme. Il est remarquable de constater que certaines protéines, comme celles codées par les gènes homéotiques, ont été conservées au cours de millions d’années d’évolution pour se retrouver aujourd’hui chez des espèces très éloignées.Le long de l’axe dorso-ventral se produit un phénomène universel appelé la gastrulation, qui a pour conséquence de former des couches cellulaires appelées feuillets embryonnaires (fig. 4). À partir de ces feuillets se différencieront des tissus distincts. Le feuillet extérieur, dorsal, est appelé ectoderme ; il est à l’origine de la peau et du système nerveux. Le feuillet intérieur, plus ventral, est appelé mésoderme ; il engendrera la plupart des organes internes tels que les muscles et les os. Un troisième feuillet, l’endoderme, est à l’origine du tissu épithélial de l’appareil digestif et d’autres organes comme les poumons, le foie et le pancréas.Après la gastrulation, il semblerait que les gènes dont l’activité contrôle la différenciation des nombreux types cellulaires soient très similaires au sein des différentes espèces. Ainsi, plusieurs gènes dont l’activité est spécifique des cellules mésodermiques ont été décrits chez la drosophile. Des gènes homologues ont ensuite été trouvés chez la grenouille, le poisson et la souris. De même, le développement des cellules du système nerveux requiert une classe de gènes dont les homologues existent aussi chez les invertébrés et chez les vertébrés.Les axes embryonnairesLa drosophile est de petite taille, a un temps de génération très court et s’élève facilement en laboratoire. C’est sans doute pourquoi, depuis une soixantaine d’années, elle a été l’animal de choix des généticiens. Les quinze dernières années, l’accumulation de connaissances génétiques a permis aux embryologistes de comprendre le contrôle génétique du développement. En effet, il existe de nombreux mutants de la drosophile. Un mutant est un animal chez lequel une lésion d’un gène empêche la synthèse de la protéine correspondante. Ainsi, un animal mutant permettra d’étudier les conséquences pour l’embryon de l’absence d’une protéine spécifique. Le phénotype est l’aspect morphologique de l’animal. Il est généralement anormal chez l’animal mutant. Des recherches dans plusieurs laboratoires, en particulier ceux de C. Nüsslein-Volhard et E. Wieschaus, ont permis de constituer des collections de mutants suffisamment importantes pour que la plupart des gènes requis au cours du développement précoce y soient représentés, puis identifiés.L’embryon de la mouche se transforme en une larve. Elle a une forme simple ressemblant à un tube formé par les cellules de la peau avec, à chaque extrémité, les ouvertures de la bouche et de l’anus. Les territoires dont proviennent les différentes structures de l’embryon sont représentés dans la figure 4. L’œuf est allongé dans le sens antéro-postérieur avec, aux deux extrémités, des structures spécialisées qui ne font pas partie du territoire segmentaire. La majorité de la partie centrale sera subdivisée en segments de la tête, du thorax et de l’abdomen. Le long de l’axe dorso-ventral, le mésoderme proviendra de cellules situées au pôle ventral, le système nerveux et la peau du ventre dérivant des cellules ventro-latérales, et la peau du dos des cellules du pôle dorsal.Les premières cellules se forment à la périphérie de l’œuf, et l’embryon est composé initialement d’une simple couche unicellulaire. Chaque cellule renfermera des protéines différentes ou des quantités différentes de protéines le long des deux axes, ce qui la dotera d’une double information concernant et son emplacement antéro-postérieur et son emplacement dorso-ventral, cela à la manière d’un bateau dont on peut estimer la position en mer par rapport à des lignes de latitude et de longitude. De cette façon, l’information concernant la position des futurs tissus de l’embryon est réduite dans un premier temps à une forme bidimensionnelle.Les deux axes sont mis en place dans l’ovaire avant la fécondation. Les protéines présentes dans l’œuf sont donc synthétisées sous la dépendance de gènes appelés gènes maternels, qui sont actifs chez la mouche mère. Le nombre de gènes maternels utilisés est de l’ordre d’une trentaine (le nombre total des gènes se situe entre 5 000 et 10 000 chez la drosophile, alors qu’il est de 50 000 à 100 000 chez l’homme).Les gènes maternels peuvent être groupés en quatre classes dont les mutations affectent quatre territoires différents: la tête et le thorax, l’abdomen, les deux extrémités, l’ensemble des tissus définis le long de l’axe dorso-ventral. Les trois domaines antéro-postérieurs sont décrits dans la figure 5 avec le phénotype mutant correspondant à chacune des trois classes «antérieur», «postérieur» et «terminal». En effet, l’absence de fonction d’un gène mène à la disparition des tissus concernés. Par exemple, chez le mutant bicoïd , la tête et le thorax ne se forment pas, alors que chez le mutant nanos l’abdomen est absent. Il est possible de construire un animal mutant pour trois gènes à la fois, chacun appartenant à une classe différente. Dans ce cas, aucune structure n’est formée le long de l’axe antéro-postérieur, alors que les tissus dorso-ventraux se forment normalement.L’absence du gène dorsal appartenant à la quatrième classe donne un phénotype (fig. 8) dans lequel toutes les cellules, même situées les plus ventralement, le long de l’axe dorso-ventral, ont le même devenir et se développent comme des cellules de peau dorsale. L’information nécessaire à la formation des différents types cellulaires a été abolie par cette mutation. Ainsi, à ce stade précoce de l’embryogenèse, l’absence d’une seule protéine de régulation a un effet massif sur le développement d’une grande partie du corps de l’embryon.L’étude de ces gènes maternels a permis de démontrer qu’une classe comporte plusieurs gènes, parmi lesquels un seul mène à la production d’une protéine de régulation (morphogène). Les autres gènes de la même classe ont des rôles subsidiaires, telle que la disposition du morphogène au bon endroit au sein de l’œuf. L’asymétrie de l’œuf est ainsi obtenue seulement au moyen de quatre protéines régulatrices positionnées différemment. Il s’agit des protéines codées par les gènes bicoïd , nanos , torso et dorsal (le nom d’un gène est inventé par le chercheur qui met en évidence son activité). Ces quatre protéines sont localisées dans l’œuf au niveau de sites particuliers (ils coïncident avec les régions de l’embryon manquantes chez les mutants correspondants). Ainsi, la protéine bicoïd est localisée dans la moitié antérieure de l’œuf, la protéine nanos dans la moitié postérieure, la protéine torso aux deux extrémités, et la protéine dorsal au pôle ventral.La segmentation et la gastrulationLes caractéristiques et la fonction de ces quatre protéines maternelles sont connues, essentiellement grâce aux travaux de C. Nüsslein-Volhard et de ses collaborateurs. Nous prendrons comme exemple les produits des gènes bicoïd et dorsal . Les protéines de régulation peuvent être découpées, généralement en régions fonctionnelles appelées domaines. Un de ces domaines a la propriété de se lier à l’ADN dans les régions de contrôle de l’activité des gènes cibles. Plusieurs structures tridimensionnelles de domaines de liaison ont été mises en évidence. Celles-ci se retrouvent dans de nombreux gènes impliqués dans le développement embryonnaire de nombreuses espèces. Un de ces domaines s’appelle l’homéodomaine, car il a d’abord été décelé dans les protéines codées par les gènes homéotiques. La chaîne d’acides aminés de l’homéodomaine comporte quatre hélices, dont une assure la reconnaissance de l’ADN cible. La protéine du gène bicoïd contient un tel homéodomaine. La protéine dorsal contient un autre type de domaine de liaison à l’ADN. Il est lui-même présent dans plusieurs protéines de régulation connues chez les vertébrés. Certains de ces gènes, normalement employés lors du développement embryonnaire, sont d’ailleurs incriminés dans la génération de tumeurs après mutation ou réexpression anormale chez l’adulte.La protéine bicoïd est distribuée dans un gradient de concentration dans la moitié antérieure de l’œuf (fig. 6). Le gène cible de bicoïd s’appelle hunchback . Il est activé là où la concentration de la protéine bicoïd est suffisamment élevée. Cela a été démontré par la concentration d’œufs expérimentaux contenant des quantités variables de la protéine bicoïd (fig. 6); hunchback est donc un des premiers gènes de l’embryon à être exprimé. Trois autres gènes embryonnaires Krüppel , knirps et giant sont exprimés en même temps que hunchback sous l’effet des activités combinées de bicoïd et de nanos . Les régions d’expression de ces gènes sont décrites dans la figure 7. À la suite de l’activité de ces quatre gènes, l’embryon est subdivisé en quatre territoires. La majeure partie de l’embryon, c’est-à-dire la partie segmentaire, se développera à partir de ces territoires. Le gène torso gouverne, aux deux extrémités, en dehors de la partie segmentaire, l’expression de deux autres gènes embryonnaires (non rapportés sur la figure).Les protéines codées par les gènes hunchback , Krüppel , knirps et giant sont aussi des protéines de régulation qui, à leur tour, initient l’activité d’autres gènes embryonnaires. Ensuite interviennent deux autres catégories de gènes qui ont pour rôle de subdiviser l’embryon en quatorze bandes à l’origine des segments (fig. 7). Quelques gènes de mammifères, homologues à ceux-là, sont connus, notamment le gène HuP2 de l’homme, qui est à l’origine d’anomalies du développement chez des individus porteurs d’une mutation de ce gène. Ces personnes présentent le syndrome de Waardenburg, qui entraîne une surdité.La protéine du gène dorsal est distribuée en un gradient de concentration le long de l’axe dorso-ventral, la plus forte concentration étant au pôle ventral (fig. 8). La protéine dorsal a la propriété d’activer certains gènes et d’en réprimer d’autres. Ainsi, ventralement, en présence de fortes concentrations, le gène twist est activé, mais le gène zerknüllt est réprimé. En l’absence de la protéine, au pôle dorsal, zerknüllt s’exprime, mais twist n’est pas activé. Latéralement, une concentration intermédiaire est insuffisante pour activer twist , mais suffisante pour réprimer zerknüllt . L’embryon est ainsi subdivisé en trois territoires dorso-ventraux par l’action du gène dorsal (fig. 8).Le développement du mésoderme est contrôlé par l’activité de twist . L’expression de twist entraîne une invagination du futur mésoderme à l’intérieur de l’embryon, par l’intermédiaire d’un long sillon ventral (cf. fig. 4). À la suite de ces mouvements, l’embryon est transformé en une forme plus complexe comprenant un tube extérieur, l’ectoderme, et une couche de cellules à l’intérieur, le mésoderme. Un gène homologue à twist est exprimé dans le mésoderme de la grenouille et de la souris.À ce stade, après la segmentation et la gastrulation, la forme de la future larve a déjà été mise en place. L’animal est subdivisé en une série de segments allant de la tête à la queue, et en deux feuillets, le mésoderme et l’ectoderme. Au total, quelques dizaines de gènes seulement ont contribué à ces événements.Les gènes homéotiquesL’identité de chaque segment de l’animal est contrôlée par une série de gènes appelés gènes homéotiques. Ces gènes ont été découverts par E. Lewis, qui a commencé l’étude des mutants dans les années cinquante. Le mot homéotique signifie «substitution d’une partie du corps par une autre normalement située ailleurs». Ainsi, un mutant homéotique entraîne une transformation d’une partie du corps vers des structures caractéristiques d’une autre partie normalement située ailleurs. Ces gènes codent pour des protéines de régulation, qui déterminent la voie de développement suivie par chaque segment, en fonction de sa position le long de l’axe antéro-postérieur. Par exemple, chez la drosophile, les structures de la bouche sont spécifiées par le gène Deformed , alors que les trois paires de pattes sont spécifiées par le gène Antennapédia . Chaque gène est exprimé dans un seul ou un petit nombre de segments. Chaque segment se différencie, selon un programme gouverné par un ou plusieurs gènes homéotiques. Les gènes sont actifs dans tous les tissus du segment, que ces tissus proviennent de l’ectoderme ou du mésoderme. Tous les gènes homéotiques renferment un homéodomaine et agiront sur l’activité de gènes cibles en aval dans le programme de développement.Les gènes homéotiques de la drosophile sont organisés en deux groupes, appelés complex bithorax et complex Antennapédia , et se retrouvent sur le même chromosome (fig. 9). Les divers gènes d’un groupe sont très similaires et ont été remarquablement conservés au cours de l’évolution. Ainsi, des gènes homologues ont été retrouvés chez les mammifères. Les mieux étudiés sont ceux de la souris. Ils sont classés en quatre groupes, de Hox-1 à Hox-4, sur quatre chromosomes différents. Il existe une nette correspondance entre certains gènes homologues. Ainsi, le groupe Hox-2 renferme quatre gènes, nommés 2.9, 2.8, 2.6 et 2.5, dont l’homologie avec les gènes labial , proboscipédia , Deformed et Abdominal-B de la drosophile est particulièrement marquée (fig. 10). L’homologie entre ces protéines est estimée par leurs séquences d’acides aminés, qui sont presque identiques. Ils dérivent vraisemblablement d’un ancêtre commun et ont probablement une fonction similaire. Cette possibilité a été testée par une expérience élégante entreprise par W. McGinnis et ses collaborateurs. Il est possible de transférer des gènes d’une autre espèce à la mouche vivante, où ils sont intégrés dans le chromosome. Ils sont alors traduits en leur protéine spécifique. Ces auteurs ont pris le gène Hox-2.6 de la souris et le gène Hox-4.2 de l’humain, qui sont très similaires au gène Deformed , et les ont introduits dans la mouche. Ils ont constaté que les deux gènes de mammifères peuvent remplacer fonctionnellement le gène correspondant de la drosophile. Ce résultat spectaculaire montre que les protéines codées par ces trois gènes ont la même fonction et agissent sur les mêmes gènes cibles permettant le déroulement normal du développement de la mouche.Non seulement ces gènes sont très similaires dans les différentes espèces, mais la succession des gènes sur le chromosome a aussi été conservée. De plus, l’ordre des gènes sur le chromosome suit l’ordre dans lequel ils sont exprimés le long de l’axe antéro-postérieur de l’embryon. Ainsi, le gène labial est exprimé dans le segment le plus antérieur de l’animal, le gène suivant, proboscipédia , dans les segments immédiatement adjacents, et le dernier gène, Abdominal-B , dans les segments les plus postérieurs. On retrouve le même phénomène chez la souris. Il y a aussi une correspondance entre l’ordre relatif des gènes et leur territoire d’expression chez l’embryon.Il faut noter qu’il y a plus de segments que de gènes homéotiques, et que les territoires d’expression de certains gènes se chevauchent. Cela est illustré par les trois gènes du complex bithorax , qui contrôlent l’identité de dix segments numérotés de 5 à 14. Ultrabithorax est exprimé du segment 5 au segment 14, Abdominal-A est exprimé du segment 7 au segment 14, et Abdominal-B est exprimé du segment 9 au segment 14. Dans les parties les plus postérieures, les trois gènes sont exprimés simultanément. L’identité d’un segment peut ainsi être le résultat de l’expression d’un gène unique ou d’une combinaison de gènes.Si nous considérons les trois gènes du complex bithorax représentés dans la figure 11 et si les trois protéines sont toutes absentes, aucune distinction ne peut être faite entre les segments numérotés de 4 à 13. Ils se développent tous de manière identique et produisent des structures caractéristiques du segment 4. Les embryons ont ainsi la tête et le premier segment thoracique à leur emplacement normal, suivi d’une répétition de dix segments tous apparentés au segment 4. Le segment 4 devient le deuxième segment du thorax. Si Ultrabithorax est exprimé seul, l’animal aura les trois segments thoraciques suivis du segment 6 (le premier segment abdominal) répété huit fois. Ensuite, si le gène abdominal-A fonctionne en plus de Ultrabithorax , les structures caractéristiques des quatre premiers segments abdominaux apparaissent suivies du segment 9 (le quatrième segment abdominal) répété cinq fois. Enfin, quand les trois gènes fonctionnent normalement, les derniers segments de l’abdomen prennent chacun leur identité propre. Ainsi, la perte de fonction d’un gène homéotique (fig. 11) entraîne une transformation des structures caractéristiques de la partie du corps, où il est normalement exprimé, vers des structures caractéristiques d’une partie du corps normalement située plus antérieurement.Deux très jolis exemples de phénotypes mutants sont montrés dans les figures 12 et 13. Chez la mouche normale, une paire d’ailes est trouvée sur le deuxième segment du thorax, et une paire de petits organes d’équilibre, les balanciers, sur le troisième segment du thorax (fig. 12). Chez le mutant, la mouche comporte deux paires d’ailes sur les deuxième et troisième segments du thorax (fig. 12). La transformation des balanciers en ailes est due à des mutations entraînant l’absence de la protéine Ultrabithorax au sein du troisième segment thoracique. Il est ainsi possible d’apprécier la différence entre ces deux segments chez l’animal sauvage. Elle est entièrement due à la présence de la protéine Ultrabithorax dans le troisième segment thoracique et à son absence dans le deuxième segment. En présence de cette protéine, les balanciers se développent, en son absence des ailes sont formées. Donc, si on enlève le produit d’un gène homéotique d’un segment, celui-ci se développe comme le segment adjacent antérieur dans lequel ce gène n’est pas normalement actif. Il est alors logique de penser que, si un gène homéotique est exprimé de façon erronée dans des segments antérieurs à ceux où il est normalement exprimé, ces derniers seront transformés en segments suivants postérieurs. Cela est le cas de l’embryon de souris (fig. 13), où une partie du crâne a été remplacée par des segments cervicaux à la suite de l’expression erronée du gène Hox-4.2 qui, normalement, n’est pas exprimé aussi antérieurement.Les gènes homéotiques sont, par rapport à d’autres gènes, exceptionnellement grands. Les protéines fabriquées par ces gènes sont de taille moyenne, mais les gènes eux-mêmes comportent d’immenses régions régulatrices. Il est évident que l’expression spatiale de ces gènes est très compliquée. Ces gènes dirigent le développement de chaque segment, de sorte que celui-ci construit les structures appropriées pour cette région du corps. Il est donc important que chaque gène soit exprimé dans le ou les segments appropriés, mais aussi réprimé là où sa présence n’est pas requise. Une fois le gène activé, il doit continuer à être exprimé pendant toute la suite de l’embryogenèse, de façon à maintenir le programme de développement en question. Un contrôle extrêmement précis de l’expression de ces gènes est de ce fait indispensable et requiert la présence de grandes régions régulatrices. L’expression spatiale de ces gènes est réalisée à travers des étapes successives, contrôlées par les gènes hunchback , Krüppel , knirps et giant , dans un premier temps, et par les gènes qui subdivisent l’embryon en segments, dans un second temps.L’ancêtre le plus récent commun aux arthropodes et aux vertébrés existait probablement il y a 550 à 900 millions d’années. Puisque les gènes homéotiques des vertébrés ont une homologie très élevée avec les gènes homéotiques de la drosophile, il est admis que ces gènes devaient être présents en un unique complexe de gènes chez cet ancêtre. Il est même probable que les gènes étaient localisés sur le chromosome dans un ordre linéaire identique à celui trouvé actuellement chez la drosophile et chez la souris. Il est aussi probable qu’ils étaient exprimés dans des territoires différents mais se chevauchant le long de l’axe antéro-postérieur du corps. Un tel groupe de gènes aurait évolué par duplications successives à partir d’un unique gène ancestral. Quand plusieurs copies d’un gène existent, chacune peut diverger et remplir une fonction analogue mais non identique. Il est possible d’imaginer qu’un ancêtre primitif était composé de segments identiques répétés, mais qu’au cours de l’évolution vers des organismes à morphologie plus complexe, plusieurs gènes divergents se sont exprimés différentiellement.L’embryogenèse précoce se déroule de manière fondamentalement similaire chez les différentes espèces. La formation des deux axes embryonnaires permet la subdivision de l’embryon en segments et en feuillets. Dans le cas de la drosophile, la majorité des gènes contrôlant ces étapes sont connus. Chez les autres espèces, y compris les mammifères, les recherches indiquent que des gènes homologues à ceux de la drosophile jouent probablement le même rôle.Après la formation des segments et des feuillets embryonnaires, chaque territoire comporte des cellules du même type qui synthétisent les mêmes protéines. Cependant, avec le temps, au sein de chaque territoire les cellules doivent également se différencier les unes des autres, afin de permettre le développement de structures spécialisées telles que les ailes des insectes ou les doigts de l’homme. La biologie moléculaire ne nous a pas encore permis de comprendre comment une protéine unique, par exemple Ultrabithorax , peut contrôler tout un programme de développement, de telle façon que les cellules s’organisent pour former un balancier plutôt qu’une aile.
Encyclopédie Universelle. 2012.